Alexandra, peux-tu nous parler de ton activité professionnelle ? Quelle est-elle ?
Bonjour Olivia et merci pour cette interview ! Depuis 2015, je suis blogueuse et journaliste-photographe de voyage, ce qui signifie que je me consacre quasi exclusivement à la création de contenu dans le domaine de la promotion touristique. Je réalise des reportages texte et photos sur des destinations françaises et étrangères, qui seront publiés sur mon blog Itinera Magica et les réseaux sociaux associés, sur les sites de mes partenaires, ou encore dans la presse. Je visite un lieu, un site, un hôtel, et mon rôle est d’inspirer l’envie de s’y rendre à son tour, par le récit de l’expérience et la création de belles images.
Tu travailles essentiellement dans le domaine du tourisme … j’imagine que toute ton activité professionnelle est mise à l’arrêt actuellement ?
Oui, tous mes contrats sont actuellement annulés ou reportés sine die. Le coronavirus a bien évidemment frappé de plein fouet le secteur touristique, et j’ai ressenti les conséquences économiques majeures de l’épidémie bien avant que les mesures de confinement soient annoncées en France. Dès la fin février, mes partenaires ont commencé à annuler des voyages prévus, non seulement à cause de l’incertitude des déplacements et des éventuelles fermetures de frontières, mais aussi et surtout à cause de l’impact financier de l’incertitude globale : les voyageurs commençaient déjà à annuler massivement leurs séjours, ce qui mettait en difficulté de nombreux acteurs du secteur (agences de voyage, compagnies aériennes, hôteliers, etc).
Aujourd’hui et en l’état de la situation actuelle très incertaine, tes clients envisagent-ils des reports d’opération ou d’ores et déjà des annulations ?
Les conséquences économiques sont très lourdes pour mes clients. Certaines petites agences ont été forcées de déposer le bilan face aux demandes massives de remboursement : elles avaient payé les séjours, les compagnies aériennes et hôtels eux aussi submergés refusaient les remboursements, les assurances utilisaient la clause de force majeure « épidémie » pour ne pas couvrir les pertes… pour certains, la faillite était inévitable.
L’effet domino n’est pas terminé, loin de là, et de nombreuses structures sont aujourd’hui en danger (compagnies aériennes, agences de voyage, hôtels, agences d’événementiel, restaurants, etc).
Nombre de projets sont purement et simplement annulés, j’espère que d’autres pourront être reportés, à condition que les structures tiennent le coup.
De ton côté, comment vas-tu ?
Je vais bien, merci, d’autant que j’ai la grande chance d’être confinée en famille, avec ma mère, mon frère et ma sœur.
J’ai eu un grand moment d’angoisse début mars, en voyant tous mes contrats sur les prochains mois annulés, et l’activité que j’avais mis tant d’énergie et de passion à bâtir depuis cinq ans s’effondrer en quelques jours.
J’ai toujours su qu’en tant que travailleuse indépendante, j’étais forcément précaire, mais je n’avais pas anticipé un tel choc.
Mais aujourd’hui, le caractère massif, global, terrifiant de cette crise planétaire remet forcément en perspective notre cas personnel. Ce qui se passe en ce moment va bien au-delà de mon nombril. Cette épidémie menace la vie des plus fragiles d’entre nous, nos modes de vie, nos structures économiques et étatiques, tout est bouleversé et menacé. La gravité de la situation relativise nos problèmes personnels, et nous force à changer d’échelle : ce n’est pas seulement moi, blogueuse de voyage, qui vais devoir réfléchir à l’organisation de ma vie et de mon activité, c’est la société toute entière qui se remet en question, sonde ses valeurs et devra réinventer l’après.
Nous vivons un moment inédit, historique, et j’ai la conviction que beaucoup de choses vont changer, même si nous sommes encore trop sidérés pour comprendre comment.
Vas-tu continuer à écrire sur ton blog durant cette période de confinement ?
Comme beaucoup de blogueurs de voyage, je suis dans une situation paradoxale : je pourrais utiliser ce temps de confinement pour rédiger des tonnes d’articles de voyage que j’ai en retard, mais j’ai l’impression que les lecteurs n’ont pas envie de ça en ce moment. L’essentiel aujourd’hui me paraît être de prendre soin de soi et des autres, de ne pas se laisser dévorer par l’angoisse, et de ne pas projeter les tensions ressenties sur ses proches. J’ai peur que le confinement soit une épreuve très douloureuse pour beaucoup de gens, et de voir exploser les problèmes de santé mentale, de relations interpersonnelles, de stress et d’insomnie. J’ai beaucoup d’amis qui vivent une grande anxiété, et je voudrais tellement pouvoir (modestement…) aider. C’est ce qui me motive à écrire en ce moment.
Mon dernier article s’intitule « Ce que je fais pour aller bien » https://www.itinera-magica.com/ce-que-je-fais-pour-aller-bien-fitness-yoga-priere/ et parle des ressources à déployer pour préserver sa santé physique et psychique en ces temps de grande anxiété : j’y partage du yoga, du fitness, du développement personnel, de la spiritualité…
Tu connais bien le milieu du tourisme et des voyages, selon toi, comment ce secteur pourra-t-il remonter la pente d’après coronavirus ?
Je suis bien sûr optimiste, et je crois profondément au désir d’évasion de l’être humain – la ruée vers les plages, les parcs et les campagnes le prouve. Après le coronavirus, nous aurons tous de nouveau envie de voyager, et le tourisme repartira, bien sûr. Mais il ne faut pas minimiser l’impact de la crise actuelle sur le secteur du tourisme. De nombreuses structures sont en danger.
La contraction économique sera massive, et je pense qu’il faudra plusieurs années au secteur touristique pour s’en remettre vraiment. Comme je le disais plus haut, de nombreux acteurs privés sont menacés, et les acteurs publics (offices de tourisme, etc) risquent de subir une grosse réduction de leurs budgets, étant donné l’ampleur des efforts financiers actuellement consentis par l’Etat. Les gens auront aussi, dans un premier temps, moins d’argent à dépenser, et je crains que l’envie d’ailleurs que nous ressentons tous actuellement se heurte à des réalités économiques – au moment de réserver un séjour, nous vérifierons d’abord quelles autres dépenses urgentes nous avons mis en suspens. Peut-être voyagerons-nous dans un premier temps tout près de chez nous : nous irons au resto, à la mer, à la montagne, revoir le château de Versailles ou le Mont Saint Michel, nous favoriserons un tourisme de proximité et de détente immédiate et facile.
A long terme, je me demande quelle tendance s’imposera. Est-ce que les gens confinés auront envie de découvrir le monde et prendront des billets pour des destinations lointaines et exotiques pour compenser leur isolement subi ? Ou est-ce que la remise en question radicale de la mondialisation induite par cette pandémie poussera à une modification profonde des comportements et incitera les gens à se recentrer sur leur environnement proche et privilégier le voyage tout près de chez soi, plus écolo, plus simple, et moins « risqué » à l’heure des pandémies ? Peut-être qu’un voyageur qui a été bloqué à l’étranger après la fermeture des frontières et a eu un mal fou à rentrer en France aura davantage envie de partir à Lacanau plutôt qu’à Acapulco la prochaine fois. J’ai plutôt tendance à penser que le tourisme local sortira gagnant, d’autant que la crise fait ressortir un sentiment de solidarité nationale et que nous aurons envie de soutenir nos hôteliers, nos agriculteurs, nos restaurateurs…
Tu disais il y a quelques jours sur un groupe dédié aux créateurs de contenu voyage qu’il devenait indispensable d’élargir son champ de compétence mais également ses secteurs d’activités professionnelles. A quoi faisais-tu illusion ?
A titre personnel, cette crise marque une rupture très forte dans ma vie : à l’heure où je t’écris, le métier que je pratique depuis cinq ans avec passion n’existe plus. Je ne sais pas quand, comment, sous quelle mode les choses repartiront, mais j’ai l’impression de ne pas pouvoir espérer que tout recommence comme avant. Et déjà avant le coronavirus, je ressentais un fort désir d’essentiel, de prendre davantage soin de moi, d’accorder la priorité à ma santé mentale et psychique. J’ai vécu des choses très dures depuis deux ans qui m’ont forcée à me recentrer, à réévaluer mes priorités. L’article que je viens de publier, « ce que je fais pour aller bien », me permet de partager des choses que je pratique déjà depuis de longs mois, qui sont de plus en plus importantes dans ma vie. J’aimerais être en mesure de prendre soin des autres, d’aider concrètement les gens à mettre en place des choses pour être mieux dans leur corps et dans leur tête. L’autre jour, un ami m’a dit en plaisantant « dans ta nouvelle vie, tu seras prêtre, psy ou prof de fitness » – mais au fond, pourquoi pas ?
Comment comptes-tu t’y prendre ?
Hors de question de me comporter en gourou ou en charlatan, de m’improviser experte dans des domaines aussi délicats que la santé physique et mentale sans avoir les diplômes requis. On peut apprendre « sur le tas » à être blogueur de voyage, mais pas à prendre soin efficacement des autres. J’envisage de nouvelles formations, de nouveaux diplômes.
Que peut-on te souhaiter en ce moment et pour la suite Alexandra ?
Ce que je nous souhaite à tous : de traverser sans trop de dommages cette épidémie, sans perdre de personnes que nous aimons, sans trop graves difficultés économiques, sans abîmer nos relations familiales, sentimentales, amicales à l’épreuve du confinement. Et de revoir la mer et la montagne cet été tous ensemble !
